L’huissier et la verroterie

Publié le par Gérard PIEL

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite.

 

 

Serge venait de se lever. Cela faisait des mois qu’il dormait par intermittence, que sa barbe poussait, qu’il errait comme une âme en peine.
De la peine, il en avait toujours autant qu’il y a un an quand il avait assisté impuissant, à la lente dégradation d’Éliane. C’est à ce moment qu’il avait décroché, il n’avait plus le goût d ela vie. Plus de travail, les économies avaient disparu avec sa femme, clinique, médicaments… Alors, le matin, tous les matins, il allait traîner au supermarché du coin. Certainement pas pour rencontrer des gens qu’il ne voyait plus mais, il faisait les allées en picorant dans les rayons. Deux ou trois heures et il rentrait chez lui, se couchait et quelques fois vomissait.
Aujourd’hui, un vigile le collait.
Jean-Maxime était prêt. Après un excellent petit déjeuner préparé avec amour par Marie-Chantal, il avait enfilé sa tenue de travail : chemise blanche, cravate bleu marine assorti à son costume Smalto. Les mocassins à glands recouvraient une paire de chaussettes où les Simpson faisaient les fous. Sa serviette sous le bras, après s’être assuré que les services de police et le serrurier étaient ok, il claqua deux bises sur les joues de sa tendre épouse, et zou ! Une belle journée en perspective, quatre expulsions.
D’entrée, les Rom qui squattent un garage abandonné. Les policiers feront le nécessaire, ensuite, un veuf délabré, « facile ». Après un déjeuner à l’auberge du Cheval blanc et sa fameuse omelette à la truffe d’Alba, ce sera plus difficile, deux familles en HLM, heureusement dans deux cités différentes.
Visiblement Serge Orons n’était pas chez lui. Pourtant, il avait été informé en bonne et due forme : convoqué au commissariat et le préfet avait son job.
Ce n’est pas grave, il sera surpris en rentrant !
- Vous pouvez changer la serrure.
- Regardez, la porte n’est pas fermée.
- Je vais faire l’état des lieux pour la saisie.
Ce serrurier, quel professionnalisme, vitesse et précision. Les policiers tournaient en rond en attendant.
Jean-Maxime repéra une étagère sympathique, six belles verreries de Novaro, Pierini, Loumani, Gallet et deux coupes bullées du début de Biot !
- ça c’est pour moi !
Il libéra les policiers et le serrurier.
- Allez-y, je termine et on se retrouve à 15h !
Puis il emballa les œuvres d’art, tranquillement, surtout pas de casse. Il nota le reste pour la salle des ventes.
- C’est Marie-Chantal qui va être contente.

Serge en avait assez du vigile :
- On m’a dit de ne pas vous lâcher et de vous empêcher de bouffer.
Il rentrait chez lui le ventre vide pensant qu’il devait changer de boutique. Aujourd’hui, je me coucherai à jeun.
Il poussa la porte de son appartement. Tiens, il y avait quelqu’un qui touchait la verroterie d’Eliane, son trésor.
- Qu’est-ce que tu fous là ?
- Je suis l’huissier, vous savez, pour l’expulsion. Vous devez sortir, on a changé la serrure, la police était là et moi, je fais l’état des lieux, sortait !
Serge mit du temps à comprendre.
- Pourquoi vous touchez le trésor de ma femme ? C’est tout ce qui me reste d’elle. Barrez-vous !
- Ne vous énervez pas mon vieux, votre propriétaire a repris le logement et on va le vendre, tout ça c’est pour l’indemniser, vous ne payez plus votre loyer depuis un an !
Il se leva avec deux sacs à la main. Serge poussa un cri en lui sautant dessus. Emportés par l’élan, ils traversèrent la baie vitrée. Quatrième étage, ils plongèrent face à face, agrippés l’un à l’autre, la haine et l’effroi contre un sourire narquois. Cela ne dura que quatre secondes.
Jean-Maxime s’écrasa, le crâne éclaté, amortissant la chute de Serge qui se retrouva le nez dans le sang de l’huissier. Il se releva, son bras droit dans une drôle de position, sa tête parsemée d’éclats de verre. Il se mit à marcher, il avançait comme dans un rêve.

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